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Un pas de plus vers la vérité sur l’Affaire Maurice Audin

jeudi 25 janvier 2018, par Michel Berthelemy

Le 12 janvier, lors d’un hommage rendu à Gérard Tronel, mathématicien et fondateur de l’Association Maurice Audin, récemment décédé, Cédric Villani est intervenu sur l’affaire Audin. Il a déclaré qu’après en avoir parlé avec le président de la République, Emmanuel Macron, il pouvait affirmer que : « Maurice Audin a été exécuté par l’Armée française ». Un petit pas de plus vers la vérité de la part de l’Etat français…

Gérard Tronel, qui a relancé en 2005 le Prix Audin de mathématiques et animé jusqu’à son décès l’Association Maurice Audin a reçu un bel hommage au campus universitaire Jussieu. A cette occasion, le président de Sorbonne Université, Jean Chambaz, a réaffirmé la volonté de l’université française de voir reconnaître par L’État la vérité sur la mise à mort du jeune universitaire, âgé de 25 ans, enlevé le 11 juin 1957 par des militaires français, qui était sur le point de soutenir sa thèse de mathématiques. L’avocat de la famille Audin, Roland Rappaport, lui aussi mort récemment, n’avait cessé de demander à L’État la reconnaissance de la vérité, a rappelé l’une de ses collaboratrices.

Une table ronde a porté sur « Le prix Maurice Audin et l’affaire Audin ». Présidée par Cédric Villani, Université Claude Bernard-Lyon et député de l’Essonne, elle a rassemblé Mohamed Amara, président de l’Université de Pau et des pays de l’Amour, Jean-Pierre Raoult, de l’Association Maurice Audin et du Mrap, et Emmanuel Treillat, Sorbonne Université et lauréat du Prix Maurice Audin 2010. Josette Audin était présente ainsi que Pierre et Michèle Audin, enfants du disparu. Pierre Audin, qui a longtemps travaillé au Palais de la Découverte, est lui-même intervenu sur « Gérard Tronel et la vulgarisation des mathématiques pour le grand public ». On notait la présence dans la salle de l’historienne Marianne Debouzy, l’une des secrétaires du Comité Maurice Audin présidé, de 1957 à 1965, par Pierre Vidal-Naquet.
Cela a été l’occasion pour Cédric Villani de dire qu’après s’en être entretenu avec le président de la République, Emmanuel Macron, il pouvait s’en faire le porte-parole pour déclarer que « Maurice Audin a été exécuté par l’Armée française ». Il n’a mentionné aucun témoignage ni document à l’appui de cette déclaration « autorisée », il a même affirmé qu’il n’existait pas de trace de cette « exécution par l’Armée française » dans les archives, soit qu’il n’en ait jamais existé, soit que des pièces d’archives aient disparu. Tout en ajoutant que c’était aux historiens de travailler pour en savoir davantage.

Un tout petit pas …

C’est un tout petit pas, car aucune déclaration présidentielle n’a été lue, aucun message, aucun communiqué n’a été rendu public par l’Élysée. Mais c’est quand même un petit pas de plus de la part de L’État français vers l’aveu de la vérité. Car les mots « Maurice Audin a été exécuté par l’Armée française » n’ont jamais été prononcés auparavant par un représentant, officiel ou officieux, de L’État. Et le mot « exécuté » a un sens précis, qui renvoie non seulement à une intention meurtrière délibérée, mais à une décision, qu’elle soit judiciaire ou extrajudiciaire ; dans ce cas, en l’absence de toute procédure judiciaire et de tout procès, il désigne clairement une décision d’assassinat extrajudiciaire. Et l’auteur de cet assassinat est désigné comme n’étant pas « un militaire français » ou « des militaires français », qui auraient pu désobéir, outrepasser des ordres ou agir, volontairement ou par maladresse, en l’absence d’un ordre reçu, mais comme étant bien « l’Armée française ». Il s’agit donc d’un meurtre, et ce meurtre relève d’un ordre de la hiérarchie de l’Armée. Une armée dont le chef d’état-major en Algérie était alors le général Raoul Salan et le commandant dans la région d’Alger, le général Jacques Massu, chef de la 10e division parachutiste. Il est clair que, si un tel ordre d’exécution a été alors donné par l’Armée, c’est-à-dire les généraux Salan et Massu, il a été forcément partagé par le ministre résidant d’alors, Robert Lacoste, qui partageait totalement avec eux la conduite de la « bataille d’Alger ».

Rappelons que, le 17 juin 2014, en recevant à l’Élysée Josette et Pierre Audin et en rendant public le lendemain un message à l’occasion de la remise du Prix Maurice Audin de mathématiques, le Président de la République François Hollande avait contredit ses déclarations de l’année précédente selon laquelle les archives ne permettaient pas de savoir le sort de Maurice Audin. Il a déclaré dans son message que « les documents et les témoignages dont nous disposons aujourd’hui sont suffisamment nombreux et concordants pour infirmer la thèse de l’évasion qui avait été avancée à l’époque. M. Audin ne s’est pas évadé, il est mort durant sa détention ». Il avait donc mis fin en juin 2014, en parlant d’une « mort durant sa détention », à la version qui a été la thèse mensongère officielle de l’État pendant 57 ans, celle de l’évasion. Cela contredisait ses déclarations faites un an plus tôt, tout en ne disant rien des causes de la mort de Maurice Audin alors qu’il était détenu par les parachutistes. François Hollande disait dans son message de juin 2014 qu’il avait ordonné « que soient engagées des recherches sans précédent dans les archives du ministère de la Défense, afin de découvrir si des documents officiels permettaient d’éclairer de façon définitive les conditions de la disparition de M. Audin en juin 1957. Ces recherches n’ont pas permis de lever les incertitudes qui continuent d’entourer les circonstances précises de la mort de M. Audin, que la justice n’a plus les moyens d’éclairer. C’est aux historiens qu’il appartient désormais de les préciser ». C’est ce que répète la présente déclaration de Cédric Villani, porte-parole officieux d’Emmanuel Macron, puisque, tout en indiquant qu’Audin a été assassiné sur un ordre de l’Armée, il reprend cette affirmation de François Hollande concernant l’absence d’archives.

Ni document, ni témoignage à l’appui

Pourtant, ces dernières années, des archives ont été découvertes, des témoignages importants ont été publiés. En mars 2012, une journaliste du Nouvel Observateur, Nathalie Funès, a révélé que le colonel Yves Godard a écrit dans des carnets déposés à l’Université de Stanford (Californie) qu’Audin a été tué, sur ordre, par le sous-lieutenant du 6e RPC Gérard Garcet — qui était au début de 1957 l’officier d’ordonnance du général Massu http://ldh-toulon.net/Maurice-Audin-serait-bien-mort-aux.html. Peu avant sa mort le 3 décembre 2013, le général Paul Aussaresses, commandant, à l’époque, au 1er RCP et chargé notamment par le général Massu des exécutions extrajudiciaires, a confié au journaliste Jean-Charles Deniau — qui l’a rapporté dans son livre « La vérité sur la mort de Maurice Audin », paru en janvier 2014 aux éditions Equateurs — que l’ordre de tuer Audin était venu du général Massu et que le sous-lieutenant Gérard Garcet est bien celui qui l’avait mis en œuvre. Autre indice, le général Maurice Schmitt présent à Alger à partir du 4 septembre 1957 comme commandant du 3e RCP et proche de Massu, dans son livre « Alger-été 1957. Une victoire sur le terrorisme », paru en 2002, nomme Maurice Audin, dans la phrase suivante : « Il est clair que Boumendjel, Maurice Audin et Larbi Ben M’Hidi auraient dû être traduits devant un tribunal ». Or, comme on sait avec certitude qu’Ali Boumendjel et Larbi Ben M’Hidi ont été assassinés sommairement sur ordre, sa phrase reconnaît qu’Audin a été, lui aussi, l’objet d’une décision de mise à mort extrajudiciaire.

Comme François Hollande, Emmanuel Macron laisse apparaître un petit bout de la vérité. Mais ni l’un ni l’autre ne veulent dire sur quels témoignages et documents ils fondent leurs affirmations, en disant qu’il y en a de « nombreux et concordants » mais en n’en montrant aucun (François Hollande), ou en disant qu’il n’y n’a aucune archives (Emmanuel Macron, via Cédric Villani). Que penserait-on d’une autorité judiciaire qui affirmerait l’existence d’un crime avec préméditation tout en ne rendant public aucun témoignage ni document à l’appui de cette conclusion. Cette affirmation peu crédible concernant l’absence d’archives, il faut probablement la comprendre comme : « Il n’est pas encore temps de faire état des documents et témoignages qui fondent nos affirmations sur le fait que Maurice Audin « a été exécuté par l’Armée ». Attendons que tous les exécutants et responsables de cet assassinat soient morts. Gérard Garcet vient de mourir, mais tous les responsables ou complices — militaires ou politiques — de ce crime décidé par le commandement de l’armée française en Algérie et le ministre résidant, et endossé par l’État, donc de ce crime d’État, n’ont pas encore disparu. En attendant, Mesdames, Messieurs, comprenez que nous continuions à mentir… ».

Notons aussi que Cédric Villani a mentionné à deux reprises, le 12 janvier, le nom de François Nadiras en rendant aussi hommage à son engagement dans le combat pour la vérité dans l’affaire Audin. Ceux qui poursuivent le site qu’il avait fondé n’hésiteront pas à continuer à dénoncer, comme il l’a fait, les hypocrisies, les contradictions et les lâchetés de nos gouvernants.
Et ils n’oublieront jamais que Maurice Audin n’a été qu’un parmi des milliers d’Algériens colonisés restés inconnus. La reconnaissance officielle par l’État français de toute la vérité sur l’affaire Audin peut être une étape essentielle dans un combat plus important encore : celui pour la reconnaissance officielle des responsabilités de l’armée française dans des milliers d’autres disparitions forcées et exécutions extrajudiciaires survenues pendant la guerre d’indépendance algérienne, victimes restées inconnues parce qu’il s’agissait d’« indigènes » et dont les familles, comme celle d’Audin, sont toujours aujourd’hui en attente d’informations sur le sort de leurs proches disparus et sur les responsables de ces disparitions.

Gilles Manceron

Cet article est paru sur le site histoirecoloniale.net, qui succède au site de la LDH-Toulon créé par François Nadiras, et repris après son décès par un groupe d’historiens parmi lesquels le signataire de ce texte, Gilles Manceron.

http://histoirecoloniale.net/L-Etat-fait-encore-un-petit-pas-dans-l-affaire-Audin.html

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