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Témoignages de femmes à propos de la guerre d’Algérie

mardi 20 décembre 2022, par François-Xavier Ricard

Le 3 novembre 2022.
Je ne saurais dire aujourd’hui pourquoi m’est venue (en 2010…) l’idée de recueillir des témoignages de femmes à propos de la guerre d’Algérie. J’ai tenté de le faire en sollicitant 40 femmes de ma famille et de mes amies. 21 m’ont répondu, ne serait-ce que par quelques mots. Seuls deux de ces témoignages étaient suffisamment développés pour justifier leur publication ici.

M.-Jeanne D. (1940) – Courrier manuscrit (17 mars 2010).

Voilà ma contribution… Il y aurait encore sûrement bien des choses à dire ! En tout cas, ta demande m’a fait « gamberger », j’ai replongé dans ces souvenirs avec émotion et aussi avec étonnement… « On a vraiment fait tout ça ? »
Je ne sais pas si tu pourras faire quelque chose de tout ça, ça m’a fait plaisir de l’écrire !
On en reparle bientôt ?

Mes souvenirs de la guerre d’Algérie… qui ne s’appelait que « conflit » à l’époque.
J’avais l’âge de ceux qui partaient, mais aussi de ceux qui restaient et de ceux qui revenaient.
J’étais étudiante à Montpellier. Les garçons qui m’entouraient faisaient tout pour finir leurs cycles d’études. Ils étaient « sursitaires », mais c’était bien seulement un sursis pour beaucoup.
Dans notre tranche d’âge, aucune indifférence possible : on était pro-FLN, – ce qui était mon cas – ou d’extrême-droite. Les manifs étaient fréquentes et violentes. Les chaises de bistrots volaient à travers la « place de l’œuf » à Montpellier ! On était vite repérés et « fichés », avec pour moi l’injonction expresse de ne pas me faire prendre si je ne voulais pas retourner définitivement en SUISSE (!!).
Parmi mes amis théologiens, il y avait ceux qui organisaient des réunions de prière et de jeûne, et ceux qui partaient comme aumôniers, y compris dans les paras ! Les objecteurs de conscience faisaient de la prison.
Les copains qui revenaient nous demandaient de ne pas leur poser de questions. Et ils ont vécu toutes ces années avec leur terrible secret… et du coup moi aussi. Si bien que quand Mermet leur a donné la parole dans son émission, j’ai pleuré comme si toute cette émotion n’avait jamais pu sortir, et j’ai réalisé que nous avions vécu cette guerre avec tant d’intensité que nous avions aussi renfermé beaucoup de choses.
J’ai travaillé aussi quelques mois à la CIMADE à Marseille. Je m’occupais de familles parquées dans un bidonville en plein centre, près de la Place d’Aix, « l’Enclos Peyssonnel ». Dans ce bidonville vivaient des familles : les hommes essayaient de trouver du travail, les enfants allaient à l’école, les femmes n’avaient pas le droit de sortir. Certains avaient des papiers, beaucoup étaient clandestins. J’allais à la Préfecture où un officier SAS faisait des papiers mais essayait de me soutirer des renseignements en échange ! J’ai compris que tout ce que je disais était enregistré…
Tout homme algérien pouvait être dénoncé anonymement : l’enclos était régulièrement encerclé par la police, à l’heure où les hommes partent au travail, leur faisant perdre du coup leur gagne-pain. L’homme recherché était emmené dans un camp au Larzac. J’ai accompagné des femmes pour aller voir leur mari… Quelle misère et quelle honte…
Dans le bidonville, il y avait un quartier de célibataires. C’est eux qui se chargeaient de récolter l’argent pour le FLN. Quand la police arrivait, le sac passait de fenêtre en fenêtre !
C’était aussi la guerre à l’intérieur du bidonville. A 18 h, quelqu’un me ramenait à la sortie, car les règlements de comptes commençaient, et le lendemain on me montrait les impacts de balles…
Je voudrais encore signaler que nous avions la haine des harkis. Et, 20 ans plus tard, je me suis occupée des enfants de harkis qui ont vécu une grande injustice et une grande souffrance.
Deux autres détails. Le retour des pieds-noirs. Ma mère les accueillait à Bordeaux. Bien sûr, il s’agissait de ceux qui n’avaient plus rien. Il fallait les accompagner pour qu’ils retrouvent un lieu, une vie…
Après les vacances, quand nous sommes revenus à Montpellier, tous les appartements disponibles habituellement pour les étudiants avaient été loués à des « rapatriés ».

Yvette R. (1939) – (Courrier postal, 26 mars 2010).

« … c’est une bonne idée de demander leurs souvenirs aux femmes de nos âges. Cela ne me gêne pas de rassembler et de vous adresser quelques éléments, même si j’en mesure toute la fragilité… Je ne suis pas revenue en Algérie après 1970, mais je suis toujours attentive à ce qui se passe là-bas, en particulier à travers une petite association « Limousin-Algérie » orientée vers la solidarité, des liens avec des partenaires de la région de Mostaganem, des contacts et échanges divers… »

« Remarque préalable : je suis née en 1939, milieu modeste, sans engagement d’aucune sorte, (sensibilité de gauche, façon… limousine).
Je me suis toujours sentie comme appartenant à la génération de la guerre d’Algérie. Peut-on dire guerre d’Algérie (et pas « les événements ») : période de ma jeunesse, sensibilisation à la vie politique, tentative de comprendre le monde.
J’ai très vite su qu’il se passait quelque chose de grave en Algérie, même si je ne connaissais pas ce territoire. Un élément d’explication, parmi d’autres, un frère de cinq ans mon aîné.
Dans les années 1956-57, je connaissais l’existence de L’Express, de France-Observateur, de Témoignage Chrétien, du Monde, et aussi de petites publications : témoignages d’appelés ou de rappelés ; textes sur/contre la torture.
En 1956, par curiosité citoyenne (??), contacts avec un petit groupe de l’UGS, à l’occasion d’une réunion publique, sans doute pour des élections locales. Leurs positions sur la guerre étaient claires.
On parlait de tout cela entre jeunes, surtout parce que c’était une guerre proche ; sans qu’il y ait beaucoup discussion et accord sur le pourquoi de cette guerre et les perspectives d’une indépendance. Les jeunes filles savaient que les garçons partaient pour un temps long et rude : inquiétude, tristesse des départs, malaise, tensions… mais « c’était comme ça ». Il y avait les officiellement fiancés et leurs échanges de lettres, leur impatience. La nouvelle d’un « mort en Algérie » (pas de proche, pour ma part), celui qui envisageait d’être objecteur de conscience ; mon frère qui a dû partir dans les Aurès pour plusieurs mois (sans être trop exposé). On savait que, là-bas, c’était une « drôle de guerre ». Une constante : ces ex-soldats en Algérie ne disaient pas grand-chose au retour, et la vie reprenait son cours, du moins en apparence.
Et puis, il y avait quelques manifestations, défilés « Pour la paix en Algérie », des signatures pour des comités « La paix par la négociation ».
A Limoges, en 1961, quelques jeunes Algériens travaillant dans le bâtiment ont souhaité (par l’intermédiaire d’un syndicaliste) des cours d’alphabétisation. Nous avons démarré fort modestement, de façon informelle, cela s’est poursuivi après la fin de la guerre.
Je me souviens bien du 1ᵉʳ trimestre 1962, avec les infos sur la manifestation et les morts du métro Charonne, de l’OAS avec l’assassinat de Mouloud Feraoun à El Biar.
Et puis, le 19 mars 1962, nous avons pris un pot avec des étudiants algériens…
Et mon « histoire » avec l’Algérie a continué : séjours de jeunes volontaires en juillet 1963 à Alger-Belcourt (période pleine d’enthousiasme) ; juillet 1964 à Ménerville : des cours de rattrapage, jeunes et adultes ; beaucoup de contacts avec d’anciens combattants, militants, des Européens libéraux.
Et puis, 1965-70, coopération (enseignement du français) à Alger, en « République algérienne, démocratique et populaire ».

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