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La liberté d’expression en passe de disparaître en Algérie

dimanche 8 mai 2022, par Michel Berthelemy

Alors qu’est célébrée, le 3 mai, la Journée mondiale de la liberté de la presse, les pressions s’accentuent en Algérie sur les médias francophones. Dernière victime en date, le grand quotidien “Liberté”. Témoignage de son journaliste Karim Kebir.

S’il est bien une liberté qui n’est jamais acquise, c’est celle de la presse. Y compris pour RFI et France 24 : les deux médias français sont officiellement interdits de diffusion au Mali depuis le 27 avril (ils avaient été suspendus un mois plus tôt). L’an dernier, c’est l’Algérie qui avait retiré son accréditation à France 24… Et dans le pays même, la presse algérienne semble soumise à des pressions inédites depuis l’indépendance. Au point que le grand quotidien Liberté a dû baisser le rideau sur un dernier numéro, le 14 avril.
Fin d’une aventure journalistique débutée dans les années 1990, et qui avait fait de ce journal l’un des quotidiens les plus importants du pays. Ses journalistes comme Tahar Djaout ou son caricaturiste Ali Dilem auront donc marqué une époque de libre expression… plus que jamais menacée de disparition. Car rien a priori ne présageait une telle fin pour ce journal détenu par la première fortune du pays, Issad Rebrab — septième plus riche homme d’Afrique pour le magazine américain Forbes, en 2021. Karim Kebir, journaliste et éditorialiste depuis près de vingt ans, témoigne de cette fin de carrière brutale et du recul des libertés de la presse en Algérie.

L’annonce de la fermeture de Liberté fut un choc pour les lecteurs algériens, tant le journal faisait partie de leur vie depuis une trentaine d’années…
Liberté était plus qu’un simple journal sous sa forme papier ou sa version électronique. Il était un champ de réflexions libres, un espace de débats intellectuels comme il en existe de moins en moins dans le pays. Il organisait des forums, offrait des tribunes aux penseurs, militants et universitaires de toutes les tendances. Les arguments qui nous ont été avancés pour expliquer la fermeture étaient d’ordre purement économique, et ils sont loin de convaincre tout le monde. La loi algérienne précise un certain nombre de conditions sous lesquelles un propriétaire peut recourir à la liquidation de son entreprise – par exemple, lorsqu’elle réalise trois années de suite un résultat négatif. Ce n’est pas le cas de Liberté. Au regard de certaines attaques dont nous avons été la cible de la part des autorités ces dernières années, les causes de la fermeture me semblent plutôt politiques.
En réalité, Liberté était resté une exception dans le champ médiatique algérien, car bien qu’il appartienne à un homme d’affaires, il continuait d’aborder librement les dossiers économiques et politiques du pays. Mais ces dernières années, nous avons fait l’objet d’attaques à trois reprises de la part des plus hautes autorités du pays. Notamment un violent communiqué en avril 2020, qui nous a été adressé par le ministre de la Communication de l’époque Ammar Belhimer, suite à la publication de dossiers critiques envers la politique de gestion de la crise sanitaire liée au Covid-19. Un de nos journalistes, Rabah Karèche, a été mis en prison en avril 2021, pour un reportage réalisé dans le sud algérien, et deux autres journalistes, arrêtés.

À titre personnel, comment vivez-vous la fin de cette aventure ?

J’y ai passé exactement dix-neuf années et sept mois. C’est toute une carrière qui s’éteint ! Nous étions cent salariés lors de la fermeture, dont beaucoup collaboraient depuis des années. Notre quotidien faisait partie des plus importants du pays (nous étions les premiers dans les années 1990-2004 avec des tirages allant jusqu’à 300 000 exemplaires). Liberté avait intégré le quotidien des Algériens, notamment francophones. Ces dernières années, nous restions parmi les rares médias à aborder les sujets qui fâchent comme ceux des détenus d’opinion, des migrants clandestins ou encore la répression… Avec la fermeture de Liberté, c’est l’ensemble du courant démocratique qui se trouve privé de son espace d’expression.
L’autre grand quotidien francophone, El Watan, connaît de son côté d’énormes difficultés, dont le gel de ses actifs. Certains le perçoivent comme un signe de plus de la guerre à la francophonie menée par plusieurs ministres algériens, qui ont pris des mesures pour réduire, voire supprimer, la langue française dans leurs secteurs…
Cela s’inscrit dans une guerre idéologique qui a débuté dès les années 1970. Elle était alors menée par l’aile conservatrice du Front de libération national (FLN), qui prônait l’arabité de la société algérienne. Elle s’est poursuivie pendant la guerre civile des années 1990, avec les islamistes qui voulaient interdire l’usage de la langue française. Récemment, les mesures de réduction du français au sein des ministères, tout comme la disparition de grands quotidiens de langue française, ressemblent à un coup fatal porté à la francophonie de l’Algérie

Comment décririez-vous la situation de la liberté de la presse de manière générale en Algérie ?
Elle n’a jamais été aussi malmenée ! J’en prends pour preuve le classement de l’Algérie dans le dernier rapport annuel de Reporters sans frontières (RSF) , où l’on perd beaucoup de places, mais aussi le nombre de journalistes poursuivis, emprisonnés, à l’instar de Khaled Drareni, Rabah Karèche, Mohamed Mouloudj et Hassan Bouras et le harcèlement judiciaire contre Mustapha Bendjama, ainsi que le blocage de sites comme Tout sur l’Algérie (TSA), les plaintes contre Maghreb Emergent et sa web radio Radio M, ou la fermeture de certains bureaux des chaînes étrangères. La situation est dramatique.
Sur le plan économique, et depuis la crise du Covid-19, nombre de sites d’information se sont retrouvés en difficulté ou ont carrément mis la clé sous la porte. Sans compter qu’un arsenal juridique récent a été élaboré pour empêcher les médias d’aborder certains sujets, sous peine d’être poursuivis – au prétexte de porter atteinte à l’intérêt du pays.

Tout est fait pour entraver le travail des journalistes…
Il règne en Algérie un climat de répression générale qui ne touche pas uniquement la presse, mais également les associations et les partis politiques, qui ne reçoivent plus d’autorisation pour tenir leurs réunions ou, pire, sont empêchés de les tenir. D’autres sont sous le coup de menaces de dissolution, de gel des activités, ou de retrait d’agrément. Aujourd’hui, le combat pour la liberté d’expression n’est pas uniquement celui des journalistes, mais celui de toute la société algérienne.

https://www.telerama.fr/debats-reportages/fin-du-quotidien-liberte-en-algerie-tout-est-fait-pour-entraver-le-travail-des-journalistes-7010176.php

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