Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami(e)s Contre la Guerre

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La Laïcité aujourd’hui et… la 4ACG, Laïcité et fraternisation

vendredi 19 mai 2017, par Webmestre

L’actualité récurrente, souvent désordonnée et trop rapide, nous impose une réflexion approfondie sur des thèmes comme la laïcité, la fraternisation… Dans l’association, une commission « Laïcité » a été constituée, réunissant des membres désireux de réfléchir sur cette notion et celle de fraternisation. Le 15 octobre 2016, elle a rendu compte de ses travaux dans le texte qui suit :

I- LA LOI DE 1905

La loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat qui définit la laïcité est d’abord une loi de liberté et d’égalité. Elle est héritière de la Révolution Française et s’inscrit dans la continuité de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Elle définit :
1. des objectifs : liberté de conscience, libre exercice des cultes, égalité de tous devant la loi quelles que soient les croyances ou les convictions. Entre ceux qui croient au ciel (quel qu’il soit) et ceux qui n’y croient pas, nul privilège et nulle discrimination.
2. et des moyens : séparation des Eglises et de l’Etat, ce qui interdit toute tutelle religieuse sur l’Etat et permet aux organisations religieuses de s’émanciper de l’Etat qui ne se mêle pas de leur fonctionnement.
Si la loi garantit la neutralité de l’Etat et plus généralement des services publics vis-à-vis des religions, cela ne signifie pas la neutralisation des religions. Cela n’interdit pas aux républicains d’en avoir une.
La loi permet donc, dans le respect réciproque, une conciliation harmonieuse de toutes les croyances et convictions, d’en changer librement, et de les exprimer publiquement.

II- HISTOIRE DE LA LAÏCITÉ A LA FRANÇAISE

Le processus de sécularisation, c’est-à-dire la séparation progressive du politique et du religieux, apparaît aujourd’hui comme mondial. Il vient de très loin en Occident, mais c’est la France issue de 1789 qui la première l’inscrivit radicalement dans la Loi. Et elle paya cette rupture avec l’Ancien Régime de révolutions et de querelles entre modernité et tradition, entre Droite et Gauche ou à l’intérieur même de la Gauche, qui durent encore. Celles-ci expliquent sans doute les différences de sensibilité entre les Français d’aujourd’hui qui sont pourtant tous acquis à la laïcité. En France, la République s’est construite contre la Religion, la Raison moderne contre la croyance traditionnelle. Il en reste quelque chose dans la tête des Français. Et les peuples qui n’ont pas tous eu une histoire intellectuelle aussi mouvementée, ont du mal à comprendre nos querelles franco-françaises.

1. Les origines de l’idée de laïcité sont se trouvent dans les « Lumières » du 18e siècle, la Révolution française et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses… », « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme ». Ces principes devaient conduire à la loi de 1905.
2. Au début du XXe siècle l’emprise religieuse sur le pouvoir politique en France reste très forte, si forte qu’au moment de la préparation de la loi d’importantes controverses ont agité l’Assemblée nationale. L’antagonisme entre une société conservatrice fière de ses racines chrétiennes d’une part et le peuple de Gauche avec les libres penseurs d’autre part, souvent incarnés par les « hussards noirs » de la République qui voulaient « bouffer du curé », s’est encore manifesté pendant la première moitié du siècle.
Cependant la querelle ne sévit pas seulement entre l’Eglise et l’Etat, mais aussi à l’intérieur de la gauche républicaine elle-même. Dans les débats qui agitèrent celle-ci en 1905, Etienne Balibar lit voit deux conceptions de l’Etat républicain, l’une, « inspirée lointainement par Hobbes (on pourrait ajouter Rousseau), est étatiste et autoritaire alors que la seconde, en partie dérivée des conceptions de Locke, est libérale et même tendanciellement libertaire(…). La première « inclut la laïcité comme une pièce essentielle du primat de l’ordre public sur les actions et les opinions privées, la seconde pose l’autonomie de la société civile, dont relèvent les libertés de conscience et d’expression comme norme et dont l’Etat doit se faire le serviteur et le garant ».
On peut dire que la querelle à laquelle nous assistons depuis plusieurs mois entre une laïcité dite « fermée, légaliste et stricte » et une laïcité dite « ouverte, inclusive et de dialogue » est du même ordre. Mais, dit E. Balibar, le « cartel des gauches » alors au pouvoir, sans doute plus sage que nos hommes politiques d’aujourd’hui, sut trouver un équilibre entre les deux pôles dans la loi de compromis de 1905, « une correction des projets de anticléricaux de laïcisation de la société au moyen des garanties de libertés individuelles et collectives » (Etienne Balibar).
3. Le paysage allait changer. La France changeait. Si la France politique restait bien « une et indivisible », la société civile devenait pluriculturelle, était éclatée entre diverses appartenances. Sous le coup de l’émigration, de la mondialisation, des inégalités socioculturelles et du fait d’une intégration à moitié réussie, le bel équilibre trouvé par la loi de 1905 ne suffit plus. Un nouvel équilibre est à construire.
A partir des années 80, la loi sur la laïcité est sujette à des interprétations diverses. Dans ce temps de crise des identités, les extrêmes donnent de la voix. Certains musulmans - mais pas seulement eux -, considèrent, selon un préjugé tenace et répandu, que la laïcité est l’ennemie de la religion et en particulier de la leur, l’Islam. Dans le même temps, la majorité des Français de culture musulmane donne priorité à la règle républicaine, et que des chrétiens et des juifs modernistes vont jusqu’à dire que « Dieu est laïque ». Au même moment une droite conservatrice et xénophobe, inquiète de la montée de l’immigration maghrébine, de l’Islam et de l’islamisme, soucieuse de son identité que bousculent les différences religieuses et culturelles, entend, au nom d’une « laïcité à la française », imposer des normes. Et les hommes politiques s’en mêlent, instrumentalisant cette diversité.

Ainsi une loi construite pour garantir des libertés n’a pas empêché un certain repli sur soi. Cela commença par le vote de deux lois, en 2004 et 2010 : sur le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse, dans les écoles, les collèges et les lycées publics d’une part, et sur l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public, d’autre part.
Cela aboutit, l’été dernier, à la querelle du burkini et à la dérive d’une « laïcité identitaire » qui, au nom d’une prétendue « francité », substituait à une logique d’émancipation progressive et d’intégration, une logique autoritaire d’interdiction et d’assimilation.
Ce durcissement s’explique très bien. Quel rapport y a-t-il entre 1905 et 2016 ? Au regard des attentats, de la guerre contre Daech, donc du retour de la barbarie, et de la condition des femmes dans certains pays, que les progrès du féminisme ont rendu inacceptables en Occident, on comprend le courant d’opinion qui, en France, n’entend pas reculer sous la poussée de l’intégrisme ou du fondamentalisme sur les valeurs de la République. Mais c’est aussi paradoxalement le moment de refuser la guerre des civilisations, de préserver l’esprit de liberté et d’égalité, de refuser toute discrimination et toute stigmatisation de l’ « autre », ce qui avait inspiré la loi de 1905. Sans doute faut-il pour cela en appeler au troisième terme de notre devise républicaine, la fraternité.

III- LAÏCITÉ ET FRATERNISATION

La 4ACG n’est pas la seule à relancer aujourd’hui la vieille idée de fraternité. On a dit que la loi de 1905 sur la laïcité reposait sur les droits à l’égalité et à la liberté. A ce niveau, la laïcité reste une affaire de droit. Avec la fraternité, on va au-delà et c’est plus compliqué. La France a aussi inventé une laïcité originale, une fraternité laïque, universelle.

Elle ne ressemble pas tout à fait à ses sœurs, liberté et égalité, même si elle aussi est affirmée universelle. Peut-être parce qu’elle est double. On a reproché aux Droits de l’Homme d’être trop abstraits. La fraternité est, à la fois raison et sentiment, principe et expérience concrète, donc universelle et singulière. Régis Debray dit que la Révolution française a conçu « une fraternité originale, laïque, en dehors de tout lien du sang, de religion ou de coutumes : une communauté d’égaux devant la Loi ». Dans le même sens, Stanislas Hutin tient beaucoup à cette « universalité » de la fraternité laïque, à « son essence ontologique », à « sa vertu sociale », à « sa transcendance par rapport à la morale ».
Oui, mais en même temps, la fraternité laïque est une métaphore de la fraternité personnellement vécue, concrète, celle des liens du sang, elle est attachée à une filiation et à une histoire commune, même conflictuelle (on ne choisit pas, dit-on, ses frères, on choisit ses amis). La fraternité, à la fois belle idée abstraite et sentiment singulier, fruit d’une expérience concrète, est le complément indispensable de la liberté et de l’égalité, sans quoi celles-ci sont « glaciales » et risquent de rester formelles.
Sinon alors pourquoi ne figure-t-elle pas dans la Déclaration des Droits de l’Homme ? Peut-être parce que les Lumières et la Révolution, sacralisant la Raison, célébraient un droit trop abstrait. La fraternité était difficile à proclamer par les députés négriers de Bordeaux et de Nantes en 1789, (et Napoléon allait rétablir l’esclavage pour des raisons économiques). Pourquoi a-t-il fallu attendre la révolution romantique de 1848, le « printemps des peuples », pour qu’elle soit ajoutée aux Droits de l’Homme ? Parce que l’idée devait mûrir dans les socialismes utopiques et la pensée anarchiste ?

IV-Un axe pour la prochaine Assemblée Générale

A la 4ACG, notre réflexion sur la laïcité ne pourrait-elle pas être le point de départ d’un approfondissement de cette fraternisation, et déboucher sur une « charte des valeurs partagées » entre Français et Algériens, pour reprendre la formule d’Abdennour Bidar, ou dans l’esprit d’une « laïcité de dialogue » qu’appelle Jean Baubérot de ses vœux ? Certes Français et Algériens ont une identité différente. Beaucoup de ceux-ci veulent être à la fois musulmans et laïcs. Nos histoires, et particulièrement l’histoire de notre relation à la religion et à la laïcité sont différentes et furent même douloureusement conflictuelles, mais elles se sont croisées dans la colonisation puis dans une guerre que nous ne voulions pas, dans une sorte de fraternité contrariée, de frères faussement ennemis. Ce fut souvent notre expérience d’appelés dans le bled et notre souffrance. Ce qui nous lie entre nous les Français, et ce que partagent « les anciens appelés contre la guerre » avec les Algériens de France et d’Algérie, ce ne doit pas être la culpabilité et la repentance, mais cette fraternité que nous expérimentons aujourd’hui, inspirés les uns et les autres par les Droits de l’Homme de part et d’autre de la Méditerranée,
Il n’est pas facile, dit Régis Debray, de construire un « nous ». Si nous voulons nous trouver une histoire commune entre la France et l’Algérie, il faudra sortir, comme dit Benjamin Stora, d’une histoire étroite, franco-française, l’élargir dans un récit global à des liens transméditerranéens, où se croisent plusieurs Islams et plusieurs laïcités. Comme nous, comme Debray et d’autres, Benjamin Stora appelle à « une mobilisation pour la fraternité ». Il le fait contre le discours ambiant d’un racisme anti-arabe, celui du Front national, issu selon lui, du vieux discours colonialiste qui prétend que l’Islam appartient à une culture incompatible avec les principes républicains. Ce n’est pas à nous de parler théologie. Mais dans les faits, nous avons des amis à la fois laïcs et musulmans. Et si elle veut prôner la fraternisation, la 4 ACG peut relever explicitement le défi lancé par le discours FN, et aidée par des amis historiens, faire reconnaître « la diversité culturelle et l‘affirmation des principes républicains » de part et d’autre de la Méditerranée. Elle participerait ainsi à « cette bataille culturelle qui veut affirmer le lien indéfectible que la France entretient avec les pays du sud » (Benjamin Stora). Ce discours-là donnerait au témoignage des « anciens appelés » qui ont connu la colonisation et la guerre, une force d’actualité et d’avenir, audible par les jeunes générations. Mais c’est tout un travail, un gros chantier. La 4ACG veut-elle l’ouvrir, en a-t-elle les moyens ? Avec d’autres associations, des historiens français et algériens…. Le jeu en vaudrait la chandelle dans le contexte actuel d’un fascisme rampant. Ce pourrait être l’axe de la prochaine AG.

CONCLUSION

Pas de laïcité sans fraternité

Le sens des mots n’est pas immuable. Le terme de laïcité est entré dans le Littré en 1871 et la société multiculturelle qui est devenue la nôtre renforce la nécessité de lui donner une signification ouverte, centrée sur l’égalité amendée par l’exigence de fraternité.
La laïcité est universelle. Si nous en revendiquons l’origine, d’autre pays ont su mieux que nous accueillir d’autres populations et d’autre religions. Les athées et les agnostiques ont désormais toute leur place et nous devons pouvoir intégrer sur notre sol une nouvelle croyance d’une autre grande civilisation qui nous est proche de nous.
La laïcité, dans sa neutralité, ne s’oppose à rien. Pas de démocratie sans laïcité, disait Jean Jaurès. Aujourd’hui, Abdenour Bidar précise que l’exigence de fraternité, dans notre monde en difficulté et devenu glacial, conduit à recommander une laïcité ouverte à tous.
Plus de démocratie, d’ouverture, de tolérance, c’est la voie de la vie, c’est la voie de la liberté face aux régressions sécuritaires, plus d’égalité face à l’explosion des inégalités et plus de fraternité face aux fanatismes et aux racismes de toute nature.

Pas de laïcité sans fraternité. Cela relève de la volonté et donne son sens au faire et vivre ensemble. Notre responsabilité à la 4ACG est de rassembler plutôt que de diviser et de faire front commun pour éviter les dérives, toutes les dérives.

Messages

  • Une démarche, un texte qui permet de nous clarifier face à la montée des violences politiques et religieuses de par le monde. A la 4acg nous avons à nous saisir collectivement de cette réflexion pour que se développent des sociétés laïques
    Alain desjardin

  • Il me semble que la séparation de l’église et de l’état remonte, d’un point de vue historique, bien en deçà de 1905 ou du siècle des Lumières. Je crois me souvenir que c’est un roi, peut-être Phillipe le Bel, à vérifier, qui a dit aux « curés » : rentrez dans vos églises et occupez-vous du spirituel, moi je m’occupe du temporel !". Je cite de mémoire. C’est donc une longue histoire que celle de l’émergence de la laïcité. Ne pas oublier non plus que cette loi, vient peu de temps après l’affaire Dreyfus, et que les promoteurs de la loi de 1905, furent aussi ceux qui défendirent ce capitaine juif, et qui fondèrent par ailleurs la Ligue des droits de l’homme.

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